Le rôle traditionnel d’un éditeur de revues scientifiques est de s’assurer de la qualité de la recherche scientifique qu’il publie. Pour ce faire, il demande à des experts du domaine de donner leur avis sur les articles soumis avant de les publier, quitte à exiger des améliorations de fond ou de forme aux auteurs qui veulent publier. En retour d’une certaine assurance de qualité, traditionnellement, les bibliothèques (ou les chercheurs à titre individuel) s’abonnait à ces revues pour les rediffuser à leurs usagers / équipes.
Ça, c’était avant…
Comme le prix des abonnements et le nombre de titres à supporter explosaient littéralement, dans la foulée de développement technologique autour d’Internet, les institutions ont cherché à favoriser plutôt un autre mode, celui du libre-accès. Dans ce modèle économique, les articles sont accessibles sans frais aux lecteurs, car les coûts de production des revues sont reportés soit sur des subventions ou autre financement public, soit sur les auteurs eux-mêmes (et donc indirectement sur le financement public). De la sorte, comme ce sont les auteurs qui payent les frais d’édition à des revues en accès libre, les éditeurs commerciaux traditionnels voient s’envoler leurs sources de revenus.
Ça, c’était avant aussi.
Comme les auteurs doivent absolument et fréquemment publier pour survivre dans l’univers très compétitif du milieu universitaire (d’où le proverbe « publish or perish »), sont apparus des éditeurs prédateurs, qui n’ont aucun scrupule à publier vraiment n’importe quoi du moment que l’auteur veut bien payer. Il ne leur suffit que de recruter un nombre suffisant d’auteurs, sincères, naïfs ou hypocrites, et pour ce faire, ils offrent généralement toute une armada de revues dans des tas de domaines variés, et ce, afin de capter un maximum de candidats (le principe du filet de chalutier). Comme la qualité éditoriale n’est désormais plus un critère économique distinctif, peu importe qu’on soit très loin de sa base de compétence. L’important est d’avoir l’air sérieux.
En réaction à ces phénomènes qui menaçaient leurs arrières, les éditeurs commerciaux traditionnels se sont aussi lancés à l’assaut du lucratif marché du libre-accès, surtout que de nombreux organismes subventionnaires (CRSNG, CRSH, IRSH, RCUK, US NIH, etc.) exigent désormais la mise en libre-accès des publications découlant de leurs subventions après une période d’embargo relativement courte. Or comme les grandes revues prestigieuses sont largement encore sous la coupe des éditeurs commerciaux traditionnels, ceux-ci ont développé deux approches simultanées :
Dans le premier de ces cas, la situation est au point où certains titres sont constitués d’une proportion croissante d’articles en libre accès… sans que les coûts d’abonnement au titre n’aient diminué d’un poil. On parle ici de « double-dipping » de la part des éditeurs : les auteurs payent ET les bibliothèques payent.
Dans le second cas, il s’agit d’éviter de perdre des auteurs (et donc des $$) qui iraient plutôt se faire publier chez les concurrents si on les refusait [1]. Dans la mesure où l’article refusé dans la revue XYZ, plus prestigieuse, est jugée tout de même publiable, et si l’auteur accepte de débourser les quelques centaines de dollars requis, on le redirige vers la revue en libre-accès de la flotte. Comme ces sommes sont acceptables pour les organismes subventionnaires, on a donc pas mal de chance de succès. On parlerait alors ici du modèle « tirette à mouches ».
Tant que les préoccupations de qualité demeure, et malgré les effets économiques pervers, le modèle du libre-accès via un éditeur commercial conservent son sens, à tort ou à raison, attendu la meilleure visibilité et réputation des revues portées par de grands éditeurs.
Mais qu’en est-il quand ces mêmes éditeurs déclarent ouvertement qu’ils se moquent des principes éditoriaux de qualité du contenu?
Ci bas, une lettre reçue par un chercheur concernant un article soumis par un étudiant dont le récipiendaire était co-auteur de par son statut de professeur. L’éditeur en cause, Elsevier, est probablement le plus important éditeur scientifique de la planète. Le retour sur investissements de cette entreprise multinationale frisait encore récemment les 30 à 35 % [2]. Ce n’est donc pas sur la base de difficultés économiques que le choix pervers que la lettre illustre a été fait.
Ce qu’on dit dans cette lettre est que l’article est définitivement refusé pour des questions de qualité et de possible plagiat, volontaire ou non. Et pourtant, on recommande de soumettre l’article dans la revue en libre accès de l’éditeur (moyennant des $$, bien sûr)…
Ms. Ref. No.: XXXXXXXXXX
Title: xxxxxxxxx.
Journal of XXXXXXXXXX
Dear XXXXXXX,
Thank you for considering Journal of XXXXXXXXXX for your manuscript submission. After carefully examining your manuscript, I am sorry to inform you that it cannot be further considered for publication in XXXXXXX.
Please note that Crosscheck showed significant overlap with the existing literature and internet resources.
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Sincerely,
Berrin Tansel, PhD
Editor
Journal of XXXXXXX
[1] Ceci ne s’applique évidemment pas à tous, certaines revues en libre-accès d’éditeurs commerciaux étant très certainement de bonne à très bonne qualité (ex : Nature Communications), mais il s’agit d’une tendance assez facilement discernable.